Ultramarine 2003

par Claude Hardel


Samedi 19 avril

Rendez-vous était donné à 8h00 à l’entrée de la digue-route d’accès au Mont-Saint-Michel. Marie Even et moi-même arrivons un peu avant, nous sommes les premiers. Le soleil est là aussi, mais la Baie est balayée par un petit vent de nord-est frisquet qui nous fait hésiter à quitter la voiture. Fernand et Michèle Erdocio arrivent ensuite, puis René Heintz, à peine en retard. Après un désistement en dernière semaine, nous sommes quatre au départ de cette 2ème édition de l’Ultramarine [1] . Michèle assurera quant à elle la logistique ultra-légère mais ô combien appréciée de la course, en compagnie de Puce. Celle-ci fait rapidement connaissance des participants, et nous montre par la même occasion qu’on ne lui racontera pas des histoires.

La météo pour le week-end est médiocrement optimiste. Aujourd’hui est annoncé correct, mais le froid devrait ensuite faire son retour, et peut-être la pluie. Profitons donc du soleil immédiat : ‘carpe diem’ et demain est un autre jour …

Nous rejoignons le Mont en marchant. Les parkings submersibles sont fermés pour cause de grandes marées. La passerelle en bois qui mène à la Porte de l’Avancée, l’entrée normale du village, est sous les eaux. Nous rentrons donc par une petite porte au pied de la Tour du Roi et débouchons en bas de la Grande Rue. Tout le monde accepte de la monter, le départ sera donc donné en haut du Grand-Degré extérieur, à l’entrée de l’abbaye.

Après les photos d’usage, nous partons vers 9h¼. Il nous faut peu de temps pour dévaler la ruelle encore peu encombrée par les nombreux visiteurs attendus en ce week-end de Pâques.

La digue-route est maintenant bordée d’eau. A son extrémité, nous bifurquons plein est par le GR 223. Devant nous, 450 km de sentiers et petites routes font le tour du département de la Manche jusqu’à Isigny, le Cap de La Hague se situant aux 3/5 de ce parcours. Le tracé de l’Ultramarine reprend pour moitié environ celui du GR 223, mais s’autorise quelques raccourcis lorsque celui-ci hésite par trop sur la direction à prendre. Nous ne ferons donc qu’environ 215 km.

J’avais conseillé aux coureurs de partir en collants. Moi-même en short, je n’étais peut être pas très convaincant. Heureusement, le froid et la sécheresse de ce début d’année ont retardé la pousse des orties qui encombraient l’an dernier la digue entre les polders et les herbus. Personne ne regrettera donc le short. En raison des grandes marées, il est impossible de s’aventurer sur les herbus, je m’attends à quelques passages difficiles dans la Baie. Les célèbres moutons de pré salé sont eux aussi à l’abri dans leurs enclos, ils devront attendre un peu avant de retrouver leur herbe favorite. De nombreux tadornes de Belon sont là dans leur élément. Nous surprenons même quelques aigrettes.

De l’autre côté de la Baie, la pointe du Grouin du Sud nous nargue à 3 ou 4 km à vol d’oiseau, mais à 33 km ‘à pied sec’. Les kilomètres n’ont d’ailleurs qu’une valeur relative sur l’Ultramarine, nous ne passons le joli pont sur la Sélune à Pontaubault qu’après 2h de course, pour 16 km ½. Nous sommes plus en allure trail qu’en allure course. Sans le dire, nous convenons de courir plus ou moins groupés, je ferai l’orienteur du groupe.

Le chemin de Pontaubault à Avranches est finalement plus praticable que l’an dernier. Certes, nous sommes contraints à quitter le sentier au niveau d’Argennes. Un peu plus loin, un petit pont complètement envasé nous oblige à quelques acrobaties. L’aérodrome et les nombreux hippodromes sur les herbus seront quant à eux inutilisables pendant quelque temps. Au bout du compte, cela semble tout de même moins dur pour nous que pour le vététiste que nous croisons. Et nous avons le temps devant nous.

Jusqu’à Avranches, en tant qu’orienteur, je suis souvent devant avec Fernand, ce qui nous permet de faire un peu connaissance. Mais René et Marie ne sont pas loin derrière. Ce n’est pas tant la vitesse de course qui est différente de celle que j’avais adoptée l’an dernier. Simplement, 4 coureurs qui ont choisi de rester à peu près groupés s’arrêtent forcément plus souvent qu’un coureur isolé. A l’occasion de ces arrêts, je ressens une douleur un peu pénible dans le bas du dos, que je finis par attribuer au mauvais sommier de la nuit précédente. Heureusement, cette douleur disparaît en course, en tout cas pour le moment.

Peu après le Rivage, nous quittons le GR devenu trop pénible pour la petite route qui longe la côte. Elle nous emmène tranquillement jusqu’au Grouin du Sud, un des plus beaux points de vue sur la baie. C’est aussi un site d’observation du mascaret qui se manifeste dans le chenal à l’occasion des grandes marées. Ce n’est pas cette fois-ci encore que j’observerai le phénomène, la marée a largement commencé à baisser. Michèle et Puce nous attendent, et quelques autres visiteurs. Fernand profite de la courte pause pour se faire masser par René. Puis nous alternons route et chemins jusqu’à Genêts. Devant la Maison de la Baie, des gens nous reconnaissent, sans doute pour nous avoir vus au Mont-Saint-Michel, et nous encouragent. Il ne faudrait pas insister beaucoup pour être invités à un pique-nique.

Nous retrouvons Michèle au Bec d’Andaine. Il y a foule sur le parking du point de départ des traversées de la baie. Des groupes de 20 à 30 personnes sont en partance, emmenés chacun par un guide. Ce n’est pas marée basse, mais ça le sera avant qu’ils arrivent au chenal de la Sée et de la Sélune. Je convaincs mes compagnons d’aventure de sacrifier à la tradition d’un rafraîchissement au Bec de Jazz. Puce nous montre que, malgré ses 14 ans ½, son sex-appeal fait toujours des ravages : un soupirant lui fait une cour assidue, à tel point qu’il faut l’enfermer dans la voiture. Nous profitons ensuite de quelques instants de repos, attablés en plein soleil et en discutant avec nos voisins.

Nous avons tout juste passé la moitié de l’étape du jour, nous ne pouvons donc pas nous attarder. Nous reprenons avec un petit footing de près de 5 km sur la plage, qui nous emmène à Saint-Jean-le-Thomas. Après 45 km de course nous attend une difficulté sérieuse, la montée en haut des falaises de Champeaux. Pour faire bonne figure, on s’y reprend à deux fois : une première fois sur une petite route qui ne tourne pas autour du pot, René choisit quant à lui de monter en marchant ; un sentier nous ramène alors presque jusqu’en bas avant de remonter une seconde fois dans la falaise. Quand on aime, on ne compte pas, une petite faute d’inattention nous vaut un retour au pied des falaises. Ça amuse bien les pêcheurs que l’on y croise. Et je dois faire preuve de persuasion pour faire rebrousser chemin à notre petite troupe qui se serait bien vue continuer sur la plage. Ils constateront en haut que le passage n’était pas gagné d’avance en raison de la marée, et profiteront pour la peine d’un nouveau point de vue remarquable sur la baie du Mont-Saint-Michel, le dernier de la journée. La cabane Vauban, dans les falaises de Champeaux, marque la fin symbolique de notre tour de la baie, environ 50 km de course à pied.

Le chemin continue en haut de falaise jusqu’à Pignon-Butor, où l’on redescend sur Carolles-Plage par un escalier intéressant. J’ai choisi cette année de continuer par le GR dans l’arrière pays, mais je peine à trouver son entrée dans Edenville. Une dame nous remet sur le droit chemin. Un nouvel escalier nous fait remonter d’un seul coup tout ce que nous avons descendu quelques instants plus tôt. Un escalier magique assurément car, bien qu’en ligne droite, on n’en voit pas le haut depuis le bas.

Nous débouchons sur une hauteur en plein vent et enfilons tous une épaisseur pour nous protéger du froid. Fernand commence à faiblir. Il pense arrêter à Granville (si Michèle nous y attend) et nous demande de l’abandonner à son sort. Il n’en est pas question pour aucun d’entre nous. Nous continuons donc ensemble notre bonhomme de chemin.

Un dernier passage en bord de falaise, puis nous descendons enfin sur le port de Granville. Le long des bassins, un coureur nous accompagne le temps de quelques foulées. Il est impressionné par le chemin que nous avons déjà fait, et celui qui nous reste à faire dans le week-end. Nous traversons la ville en ligne droite jusqu’au casino. L’an dernier, la ville et la promenade du bord de mer étaient noires de monde sous un magnifique soleil printanier. A cette heure, le soleil est caché par des nuages menaçants et le vent est froid, tout le monde est à l’abri. Dès qu’elle nous voit arriver, Michèle sort du salon de thé où elle s’est installée. Nous lui laissons un Fernand un peu atteint, mais somme toute en bon état apparent. Les 65 km du Mont-Saint-Michel à Granville valaient une étape à eux seuls, mais pour aller jusqu’au but en 3 jours, il est préférable d’en rajouter une petite couche.

Nous finissons donc l’étape à trois, pendant que Michèle et Fernand vont faire connaissance du gîte où nous passerons la nuit. Au bout de la promenade en bord de mer, une surprise attend les rescapés : la montée au parc Christian Dior par un nouvel escalier mémorable, un cran en dessous de celui de Carolles tout de même. Il faudra également redescendre son pendant à Donville pour revenir au niveau de la mer. De nouveau 4 km sur la plage, avec vent contre. Marie semble apprécier modérément. La cale de Coudeville nous signale le point de retour sur la terre ferme et les derniers kilomètres.

Michèle et Fernand nous retrouvent dans la dernière ligne droite arrivant au Havre de la Vanlée. La porte à flot marque la fin de la première étape de l’Ultramarine 2003, 74 km bien tassés et 10h½ d’efforts, c’est peu dire qu’elle laissera des souvenirs à tous les participants et supporter.

Nous rejoignons en voiture le gîte de notre première nuit, un petit chalet de bois où nous dormirons tous. Une boisson et une douche chaudes nous réchauffent définitivement. Et René fait preuve d’une énergie supplémentaire qui nous laisse pantois pour nous concocter un dîner revigorant au possible. Quel métier !

Il n’est pas moins de minuit quand tout le monde se couche.

Dimanche 20 avril

Lever à 6h¾. Le but était de partir plus tôt que la veille, vers 8h00 selon nos calculs. J’ai droit à un petit massage au synthol dans le bas du dos, qui est un peu douloureux à froid. Sinon, pas de souci, et il en est de même pour tous en ce début de journée. Fernand nous conduit en voiture à la porte à flot, d’où nous partons finalement à 9h05 ! Il a décidé de faire la deuxième étape en VTT, il nous rattrapera dans la matinée après avoir aidé Michèle à se mettre en route. Le ciel est couvert ce matin, mais nullement menaçant, et le vent s’est un peu calmé, les conditions de course vont être agréables.

Peu après le départ, je m’aperçois que j’ai oublié de faire le plein de nourriture. Il me reste quatre des huit barres emportées la veille, cela devra suffire.

Nous contournons le havre par l’ouest pour le traverser par la route submersible. La propriétaire du gîte n’a pas su nous dire si elle risquait d’être recouverte. Il se peut bien que l’on ait à faire demi-tour. Des dépôts récents montrent que le havre et la route ont effectivement été inondés, mais nous pouvons néanmoins passer. Une alouette chante en s’élevant dans le ciel. Il ne me faut pas longtemps pour la repérer, ce n’est pas toujours aussi facile en été lorsqu’elles montent plus haut en plein soleil. Le petit village des Salines rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, on récoltait le sel dans le havre. Quelques kilomètres plus loin, quand nous longeons l’entrée du havre, un fort courant de marée remonte la rivière.

A l’occasion d’une pause technique, je laisse René et Marie partir devant, avec quelques indications rudimentaires. Quand je reprends la route, je m’aperçois que le nouveau tracé du GR ne correspond pas aux indications fournies. J’ai maintenant une chance sur deux de prendre le mauvais chemin. Ils ont le téléphone, j’ai les cartes. Quelques joggers du dimanche matin me permettent d’affiner mon choix : mes deux compagnons de course, encore un peu frustrés de kilomètres, semblent avoir pris l’option longue. Qu’à cela ne tienne, l’échauffement est terminé, je n’ai plus qu’à allonger les foulées. Je les rejoins au bout des dunes avant Hauteville-sur-Mer, où ils commencent à se demander par où aller. Cette petite mésaventure nous fait penser que la jonction avec Fernand pourrait être plus délicate que nous l’imaginions, si les uns ou les autres se mettent à quitter l’itinéraire convenu.

Après Hauteville, des chemins creux nous emmènent dans la campagne de l’arrière pays. Nous sommes presque dans un paysage de chouannerie, voyageurs-coureurs à l’abri du vent et des regards, sans traces derrière eux pour témoigner de leur passage. Les talus sont couverts de fleurs, dont beaucoup sont supposées avoir des vertus thérapeutiques. A Montmartin-sur-Mer, nous traversons une zone calcaire avec de nombreuses carrières et d’anciens fours à chaux.

Vient la descente vers le Pont de la Roque. Celui-ci marque l’entrée du havre de Régneville, un de ces havres en ‘bec-de-perroquet’ si caractéristiques de la côte ouest du Cotentin. Leur contournement ajoute beaucoup de kilomètres, mais il peut être périlleux de les traverser à pied. L’ancien pont n’a pas résisté à l’usure du temps, mais sa beauté demeure. René suggère de prévoir une tyrolienne entre ses deux extrémités à l’occasion d’une prochaine édition.

Au Pont de la Roque, le GR se scinde désormais en deux parties : la branche historique fait un grand détour dans le Coutançais, la nouvelle variante ‘sentier du littoral’ s’attache à rester au plus près de la mer. L’an dernier, j’avais coupé au plus court entre les deux, traversant les villages de l’arrière pays par la tranquille D72. Le bitume était un soulagement après les grèves et les chemins rendus très humides par les marées et les pluies du printemps. Il me permettait aussi d’être plus proche des conditions qui m’attendaient sur le Défi de la Baie James. Les nombreuses belles demeures dans tous les villages sont un plaisir pour les yeux, cette année de nombreuses glycines monumentales sont en pleine fleur. René apprécie modérément ces 25 km de route, même s’il lui arrive de faire dix fois plus sur le Spartathlon ou la Sakura-michi.

Alors que nous ne pensions plus le revoir, Fernand nous rattrape aux environs de Blainville. Il nous explique qu’il est parti une petite heure après nous, mais qu’il a dû faire demi-tour au havre de la Vanlée, la route étant entièrement inondée. Au croisement de la route du littoral, alors que nous nous étirons sur une pelouse en plein soleil revenu, nous renouons également le contact avec Michèle. A ce moment, nous avons environ une heure de retard sur notre horaire. Cela ne nous empêche pas de sacrifier une nouvelle fois à la tradition, en faisant une pause dans un café à la sortie d’Anneville. Marie laisse tomber le périer pour la bière. Pendant ce temps, Fernand nous perd une nouvelle fois, partant involontairement sur une fausse route.

Nous approchons de la forêt de Pirou. René va pouvoir retrouver un secteur de chemin. Lorsque nous entrons dans la pinède, c’est un nouveau festival d’arômes qui assaille nos narines. Michèle nous attend près du moulin en ruine en plein cœur de la forêt, nous en profitons pour faire une petite collation.

Il est curieusement impossible de continuer tout droit en direction de Lessay, le chemin encore indiqué sur les cartes n’existant plus. Cette année, j’ai prévu de passer à l’est par le Château Blanc. Mal m’en a pris, les chemins du secteur sont fermés aux promeneurs, leurs propriétaires s’en étant attribué l’usage exclusif. Je comprends maintenant les raisons du drôle de tracé que fait le GR au travers de la lande.

Nous parvenons malgré tout à Lessay, où se tient chaque automne une foire de renommée nationale, n’ayant guère de temps pour visiter l’ancienne abbatiale. Routes et chemins alternent jusqu’à Saint-Germain-sur-Ay. Pour soulager René, je l’envoie avec Fernand sur le GR en bordure du havre, moyennant un petit supplément. Pendant ce temps, je continue tout droit avec Marie, qui préfère la route aux suppléments.

De toute façon, nous ne tardons pas à rejoindre les dunes puis la plage, le calvaire de René touche à sa fin. Les chars à voile sont de sortie en cette fin d’après-midi, cela convainc Fernand de tenter les 4 km de sable en VTT. Le sable est dur et porte bien, mais le vent est contraire. Ce n’est pas plus mal, il maintient le mauvais temps au sud. Arrivés au havre de Surville, nous devons le contourner comme tous les autres. Une cigogne en profite pour passer nonchalamment. Depuis quelques années, elles ont fait de la Basse Normandie un de leurs lieux de villégiature, mais c’est la première fois que j’en vois une. Le passage dans les dunes au nord du havre est de nouveau très agréable. Il nous reste 3 km sur la plage, puis deux autres pour atteindre le camping de l’étape, un peu avant Portbail.

Tous les bungalows du camping sont loués, mais il y a encore beaucoup de places pour camper. Nous prenons un rafraîchissement bien mérité, cette étape de liaison nous aura quand même pris 10h¼. Puis nous installons les tentes, sous les premiers appels des coucous. Une douche est alors la bienvenue, dommage qu’elle se finisse dans la froidure. Peu après, Fernand et Michèle viennent nous chercher pour aller au restaurant à Portbail.

A notre retour, la nuit est étoilée, mais je cherche vainement des étoiles filantes.

Lundi 21 avril

De nouveaux levés à 6h¾, nous commençons par prendre le petit déjeuner à la salle de jeux, où une barrique fera office de table. En fait de petit-déjeuner, il s’agit surtout de finir les restes : pain, brioche, fromage, jambon, riz au lait, yaourts, tout doit disparaître. Je remets quelques barres dans mon sac de course, bien qu’il m’en reste deux de la veille. Le soleil choisit alors de se montrer à l’horizon, c’est une belle journée qui s’annonce. Nous démontons les tentes et remballons le tout dans la voiture. Le retour à cinq au Mont-Saint-Michel ce soir s’annonce serré, mais à chaque moment suffit sa peine. Malgré nos encouragements, Fernand ne tente pas la 3ème étape en natation.

Aujourd’hui, nous partons à 8h50, on a gagné 25mn en 2 jours ! Il fait frais, mais dès que les brumes matinales se seront évaporées, cela va s’arranger. Pour René, je remplace le petit bout de bitume prévu au départ par un passage tout en chemin. Une passerelle nous permet de traverser le Gris, le cours d’eau du havre de Portbail. L’entrée dans Portbail en bordure du havre est tout simplement magnifique, même si la marée basse enlève une partie de la gamme des bleus et verts de l’an dernier. Nous franchissons alors le havre par les 13 arches.

Marie est longue à s’échauffer ce matin. Nous allons donc tranquillement et l’attendons plus ou moins régulièrement. Personne en 3 jours ne se plaindra de l’allure des autres coureurs. Nous sommes tous habitués à courir chacun dans sa tête et dans ses souliers. Simplement, l’absence de compétition facilite les regroupements.

Après Portbail, nous rejoignons Barneville-Carteret par les dunes. Nous contournons notre sixième et dernier havre. Un drôle croit me navrer en disant ‘Allez, plus que 5 km !’, je lui réponds du tac au tac ‘Non, encore 60’. Une nouvelle fois, j’explique notre périple au bonhomme, un peu ébahi tout de même. Au centre de Carteret, nous tournons à droite en direction de Hatainville, par la route. Il n’est pas dit qu’une prochaine édition ne passera pas par les dunes au nord de Carteret, qui culminent tout de même à 81m. Nous longeons ensuite la côte à environ un kilomètre à l’intérieur. Ici, les communes n’ont pas de bourg, ce ne sont que hameaux ou fermes isolées éparpillés au milieu des mielles. Les champs sableux sont propices à la culture maraîchère.

A Surtainville, après 25 km, vient la première difficulté de la journée, que j’avais annoncée en guise d’apéritif. A la sortie du village du Pou, le chemin de Trompe-Souris nous emmène au bout de la plage qui va du Cap de Carteret au Cap du Rozel. Il faut traverser une petite anse pour atteindre le sentier qui escalade la falaise. La marée n’étant pas tout à fait haute, nous pouvons le faire sans déchausser. La montée est courte, mais bonne. Et la beauté du site récompense sans commune mesure les maigres efforts que nous avons faits. C’est une première rencontre avec les odeurs suaves des ajoncs en fleurs et les panoramas extraordinaires du nord Cotentin. Ici, particulièrement sous le soleil, la mer est toujours à la fois bleue et verte.

Nous redescendons le cap et faisons une petite incursion par la plage. Le fracas assourdissant des vagues forme un contraste saisissant. Nous traversons le village de Sciotot, où nous refaisons le plein d’eau, puis passons à l’entrée : les falaises du Cap de Flamanville. Une nouvelle fois, sous le soleil, c’est tout simplement grandiose, après tout, on n’est pas obligé d’attarder le regard vers le nord.

Au sémaphore du Cap de Flamanville, il y a même un gîte et un restaurant. Bien nous prend de faire l’impasse sur cette halte possible. Sur l’aire de pique-nique juste derrière le sémaphore, nous retrouvons Fernand et Michèle, qui viennent tout juste de déjeuner. Une table et des bancs, un pré en forme de pelouse en plein soleil et à l’abri du vent, avec vue sur la mer, que demander de plus pour notre première pause casse-croûte de la journée ? Une bière ? Elle est là, Fernand et Michèle ont pensé à tout. Je mange aussi deux petites bananes, cela sera mon seul ravitaillement de la journée. A croire que les senteurs valent plein de glycogène …

C’est un peu à regret que nous repartons, mais nous ne sommes qu’à la moitié de l’étape du jour. La deuxième moitié du Cap de Flamanville se fait à l’intérieur, la centrale occupant l’ancien emplacement de la falaise. Reconstruiront-ils la falaise lorsque la centrale sera démantelée ? Rien n’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, les petits villages et hameaux entre Flamanville et Diélette sont également superbes et nous annoncent ceux de La Hague. Mes compagnons de course semblent avoir quelques difficultés dans les nombreuses petites côtes qui émaillent la route. Il est temps de redescendre sur le port de Diélette.

Au cours de la descente, je leur montre ce qui les attend dans l’heure qui vient et un peu plus : 9 km de plage entre Diélette et Vauville, une plage de sable fin en ligne droite, à peine ponctuée de quelques blockhaus en ruine. La température de l’eau a protégé le site des programmes immobiliers habituels. Les rochers des Banques, au pied du Fort de Siouville, sont le dernier obstacle avant d’arriver sur la plage de Vauville. A marée haute, il faudrait emprunter le petit sentier au bord de la falaise, interdit aux adultes accompagnés ! Peu après le centre de thalassothérapie, nous traversons le Petit Douet puis le Grand Douet, trempage de pieds garanti. Il ne reste plus qu’à dérouler sur le sable mouillé. J’aime au plus haut point courir sur des lignes droites interminables, en tout cas quand la tête et les jambes répondent présent. Des bandes de courlis et de gravelots nous côtoient tout le long de la plage, s’envolant régulièrement à notre approche. Après le premier blockhaus, un kilomètre de sable mou nous ralentit passablement, le groupe commence peut-être aussi à manquer d’énergie. Egalement, le temps s’est couvert, je commence à me demander si la pluie ne sera pas au rendez-vous dans les falaises. Nous les avons maintenant en ligne de mire, et leur extrémité se perd dans les brumes.

Nous quittons la plage pour traverser Vauville, le village vaut le coup d’œil. Puis, une petite route nous conduit jusqu’aux ruines du Petit Beaumont, où nous sommes à 200 km du Mont-Saint-Michel, 52 km depuis ce matin. Le moment de passer au plat de résistance. Le soleil est revenu, c’est une explosion de senteurs dans les ajoncs en fleurs.

Les falaises sont une succession d’anses et de baies, séparées de pointes et de nez. Forcément, cela monte et descend pour passer de l’une à l’autre, et l’on n’en voit pas la fin. Au niveau de l’Anse des Moulinets, en contrebas de l’usine de retraitement, nous passons entre deux rangées de grillage de 2m de haut, avant de revenir rapidement dans la magie des falaises. Nous avons derrière nous toute la perspective de l’Anse de Vauville jusqu’aux falaises de Flamanville. Au dessus de nous, un grand corbeau, le prince des corvidés et seigneur des falaises, survole son territoire. Il faut passer la Pointe du Bec de l’Âne pour que le Nez de Jobourg se montre enfin. Encore un dernier effort jusqu’au Nez de Voidries. Nous y croisons de nombreux promeneurs, mais pas de Fernand ou Michèle. On saura un peu plus tard que Fernand a décidé de partir juste avant que l’on passe le Nez de Jobourg. Pour un peu, on aurait traîné en chemin.

Marie souffre désormais d’une tendinite qui l’empêche de lever le pied, elle ne peut plus courir en côte, mais les paysages l’aident à endurer sa peine. Il reste 7 km, cela prendra le temps nécessaire, plus d’une heure en fin de compte. Nous descendons dans la Baie d’Ecalgrain, remontons une dernière fois jusqu’à la Pointe du Houpret, puis un chemin engazonné nous emmène à flanc d’une falaise désormais modeste jusqu’au village de la Roche. Le petit port de Goury est désormais visible, entouré de nombreux petits champs en lanières, clos de murets de pierres, et, tout au bout, le Sémaphore de la Hague.

Un peu avant Goury, Michèle et Fernand nous attendent pour nous accompagner sur les deux derniers kilomètres. Nous passons en marchant l’étonnant talus de gros galets qui sépare la mer des Mares de Terre entre Goury et le sémaphore. Il reste alors quelques dizaines de mètres pour rejoindre le sémaphore. Marie nous dit vouloir arrêter à la voiture, à 50m du but. Mais non, c’était pour nous faire marcher …

 

Claude Hardel

Temps de course

Lieu

Km

Temps

Pause

Pontaubault, pont sur la Sélune

16,4

1h57

 

Avranches, pont sur la Sée

26,1

3h15

 

Grouin du Sud

33,2

3h58

15’

Bec d’Andaine

39,8

4h59

26’

Cabane Vauban

49,2

6h47

 

Granville, casino

65,2

9h18

 

Havre de la Vanlée

73,7

10h34

 

Anneville-sur-Mer

35,4

4h23

16’

Forêt de Pirou

43,5

5h37

14’

St-Lô d’Ourville

74,5

10h16

 

Cap du Rozel

26,7

3h19

 

Cap de Flamanville

34,3

4h31

23’

Diélette

40,3

5h43

 

Nez de Voidries

59,9

9h12

 

Sémaphore de La Hague

67,0

10h31

 

Total

215,2

31h21

1h34

 


 

 

A l’année prochaine …

Il y aura sans doute une nouvelle Ultramarine en 2004. Si tel est le cas, ce sera également pendant le week-end de Pâques.

·   dans le même état d’esprit : autonomie pendant la journée et convivialité du matin au soir,

·   avec davantage de chemins, quitte à rajouter quelques kilomètres,

·   sans rogner sur la difficulté ; comme le reconnaît René (qui n’est pas un Manchot, contrairement à moi), le tracé est sélectif,

·   car cette course-balade restera ouverte aux relais qui voudraient tenter l’expérience.

·   N-B : il n’y aura peut-être pas du soleil tous les ans …



[1] La 1ère édition est la reconnaissance que j’ai effectuée l’an dernier en solo et autonomie, en guise de préparation au Défi de la Baie James.