Reportages

Le Raid 28 vécu par l'équipe les Ulis Toujours: Reportage Jean François Boissoneau.

Impressions du septième Raid 28 de l'équipe " Les Ulis Toujours " Un pour tous, tous pour un Samedi 15 janvier un peu avant minuit. Quelle étrange et néogothique atmosphère règne dans la nuit glacée sur le vieux parvis de la cathédrale de Chartres ? Les jambes serrées dans nos collants bien souvent de couleur sombre ou neutre, les vestes " respirantes " de couleur vive (rouge, jaune, bleu) portées près du corps, les mains gantées et un long bâton noir muni d'une poignée, protégée d'une collerette, à la main ou passée à la ceinture (en fait c'est un flambeau), nous déambulons sur les pavés pour nous réchauffer, tel un parti de spadassins de l'Italie du 16eme siècle se préparant à un coup de main nocturne sur la cité voisine. Seuls nos bonnets, enserrés de la lampe frontale gênent un peu la comparaison. Nous savons rire de nous (" il y a des matins de grosse fatigue où le soleil se lève du mauvais côté "), aussi, en croisant nos épées flambeaux, n'ayant pas de souvenir de devises italiennes de l'époque de Laurent le Magnifique, Monique en trouve une fausse pour gens d'épée du 17eme, pourtant merveilleusement adaptée au Raid 28. Tels les 3 mousquetaires qui auraient été 5, nous déclamons de concert : " Un pour tous, tous pour un ". La prophétie de Jean Luc Jean-Luc Doignon, orienteur de l'équipe du GAG et futur héros de ce Raid, vient confronter ses dernières spéculations avec celles que j'ai pu mener depuis notre dernière discussion sur le sujet. Nous sommes d'accord sur quelques points : le départ depuis la vallée de l'Eure à 5 ou 6 km de la Cathédrale, le passage sous l'autoroute par le lit de la Voise, l'entrée en Essonne par la haute vallée de l'Orge, le trajet entre Angervilliers et les Ulis par les champs. Il nous reste quelques mystères : comment allons franchir les forêts essonniennes, en principe d'accès interdit ? Et surtout, comment allons-nous rejoindre la vallée de la Voise ? Jean-Luc, se frotte la moustache dubitatif : " le chemin le plus évident, c'est l'ancienne voie ferrée que nous avons suivie il y a deux ans, mais en pleine nuit ces kilomètres de cailloux, avec autant de monde ce serait pas raisonnable ". La suite a montré que notre champion avait raison, c'était bien le chemin et ce n'était pas du tout raisonnable de l'emprunter. Ce soir on n'a pas mis le feu Finalement tout le monde est parti, son flambeau allumé à la main, marchant vers le stade de Lèves annoncé comme point de départ du Raid, ce qui confirmait nos déductions. En remontant les larges rues bordées de hautes maisons bourgeoises, je songe aux propriétaires endormis de toutes ces belles et grosses voitures le long des trottoirs à quelques mètres desquelles passent nos flambeaux. Un de ces flambeaux pourrait rouler sous une voiture. Ces gens dormiraient-ils, s'ils savaient cela ? Robert, auquel je fais part de cette pensée me répond " et encore, s'ils savaient que nous venons de la banlieue ". Un départ manqué, Gymnase du stade de Lèves, 1h20 le 16 janvier , c'est la ruée des capitaines vers les commissaires qui distribuent les feuilles de route, qu'ils appellent " Road books " en cédant à la mode de l'anglais à toute occasion (à ma connaissance, il n'y avait personne d'anglophone dans la course). Monique, a vite fait de rapporter le précieux document que nous entreprenons de déchiffrer. Malheureusement, au lieu de nous arrêter au repère de la troisième balise, comme nous avions prévu de faire, nous déchiffrons le chemin jusqu'à la douzième balise, emporté par nous savons quel besoin de préciser un chemin que de toute façon il faut quand même décrypter sur place. Aussi, quand tout le monde relève la tête des cartes, 25 minutes se sont écoulées et la grande salle s'est vidée des 2/3 des participants. Voilà qui nous changera de partir en tête ! C'est d'autant plus idiot que nous avons immédiatement reconnu que les 5 premiers kilomètres se font dans le sens inverse sur chemin qui menait à l'arrivée au stade de Lèves l'an dernier. De toute façon, c'est un départ loupé jusqu'au bout, je suggère de reprendre exactement le chemin de l'arrivée de l'an dernier, en partant, non pas vers l'entrée du stade, comme les autres équipes, mais à l'opposé vers la piste d'athlétisme, par où nous étions arrivés. Ce qui nous amène à une haute porte grillagée empêchant tout passage que je n'avais pas remarquée l'an dernier. Heureusement, un arbre a enfoncé la clôture à une centaine de mètre de là et nous permet de rejoindre la bonne route, ce qui fait que le bilan de mon initiative n'est pas négatif mais de bien peu. Et comme, il fallait vraiment faire un départ catastrophique, nous courrons avec détermination pendant 3 à 4 minutes vers la ville sur la rive Ouest de l'Eure au lieu de la rive Est en emmenant deux équipes avec nous. La voie dangereuse Enfin, la bonne route, le long de l'Eure, l'affolement collectif cesse, nous prenons notre formation de route habituelle (2-1-2). Devant, Monique déchiffre le texte à haute voie en cherchant une éventuelle astuce métaphorique ou un jeu de mot (il y en a toujours). A côté, Robert trace la route à suivre. Juste derrière, j'écoute Monique et Robert en tâchant de vérifier les points clés et donne le cap suivi ou à suivre. Derrière, Guy poinçonne le carton à chaque balise. Pierre a cette année joué un rôle d'ange bienfaiteur porteur d'eau. Conformément à nos habitudes de course, nous rattrapons et lâchons tout le monde. Je songe que nous risquons d'être occupés ainsi un bon moment vu qu'il y a bien 45 équipes devant. Les deux premières balises se trouvent à l'endroit indiqué, ce qui nous semble un bon présage. Elles seront toutes à l'endroit indiqué, sauf la balise n° 6. La piste abandonne la vallée de l'Eure au hameau de La Villette pour mettre le cap vers le Sud et, après une courte traversée des champs beaucerons par un chemin agricole, nous rejoignons cette voie ferrée filant vers le Nord-Ouest qui avait laissé le souvenir impérissable aux survivants du raid de 1998 d'un chemin difficile et interminable. Ce chemin, nous l'avions alors parcouru de jour. De nuit, il s'est révélé, en plus, dangereux. Le givre, apparu soudainement a rendu glissant toutes les surfaces un peu lisse comme les traverses de bois, les rails et les dalles de béton. Le seul passage pour progresser reste une trace sur le bord du ballast de gros cailloux. Mais cette trace est parsemée de blocs de bétons, de morceaux de ferrailles, d'épineux et de branches apportées par la tempête très difficiles à distinguer dans la lumière blafarde des lampes frontales. J'assiste inquiet à deux lourdes chutes de Monique, Guy se précipitant pour relever son épouse s'étale douloureusement sur les traverses. Heureusement, tout le monde peut repartir. Dans l'instant qui suit mon pied droit se bloque sur un bout de poutrelle planté dans le sol, ce qui m'envoie atterrir sur les cailloux. Une semaine après, les emplacements des impacts sur les avant bras sont encore très sensibles. Et que dire de Jean-Luc, toujours lui. Il est tout simplement tombé sur la voie ferrée, la tête la première depuis le quai défoncé d'une des gares fantômes traversées. Le GAG est reparti avec son orienteur endolori mais nos amis sont passés tout près de l'accident. Combien d'aventures se sont-elles terminées sur cette voie ? Robert nous annonce qu'il vient de perdre l'embout du tuyau à boire de son " Camelback " en traversant un de ces maudis buissons d'épines. Il doit garder le pouce sur tuyau pour empêcher le contenu de la poche à eau de se vider par siphonage comme cela était arrivé il y a 2 ans (à l'arrivée le collant gorgé d'eau sucré méritait bien son appellation). Ce n'est pas possible de courir ainsi tout le parcours surtout en lisant la carte. On imagine quelques solutions (petit bouchon de bois taillé, attache du tuyau sur le haut de l'épaule...). Par bonheur, Robert avait conservé au fond de son sac, la clavette (pièce de mécanique agricole) qui lui servait à pincer le tuyau avant qu'il la remplace par cet embout perfectionné et ne résistant pas aux conditions de course de notre raid. Cette pince rustique tiendra jusqu'au bout. Quand, après 10 km de trébuchage et d'inquiétude, nous quittons, enfin, la maudite voie ferrée, par un talus de terre abrupt et glissant, la hauteur permet une vue dégagée sur cette voie. Un long ruban rectiligne de lucioles venant de l'horizon vient s'agglutiner au pied de ce talus. Allons camarades des Ulis, ils sont bien 200 sur ces rails, il n'en reste que 100 devant. Un bon coup pour rien Une jolie petite route serpentant vers le Nord entre les prairies et les bosquets conduit au village de Bailleau- Armenonville d'où la piste remonte la vallée de la Voise. Ce passage facile nous permet de grignoter encore quelques places. La balise qui marque l'entrée dans cette vallée se voit de très loin. La difficulté d'orientation paraît être de trouver un chemin sur la rive nord d'un ancien cours de la rivière (dénommée " rivière morte "), de le suivre d'abord sur le bord de l'eau, puis, après un coude vers le nord, jusqu'à un moulin construit sur un bief parallèle à la " rivière morte " constituant le nouveau cours de la Voise. La balise 6 a été placée sur la partie de chemin (200 m de long) joignant l'ancien cours au moulin. Alors qu'il y a plein de monde au départ de cette remontée de vallée, personne ne nous suit dans notre cheminement vers la " rivière morte ". Il y a bien un chemin qui suit la rive, mais il est coupé par les troncs de peupliers gigantesques couchés par la tempête. De plus, la " rivière morte " ne mérite pas son nom : elle roule des eaux puissantes qui débordent dans les bois et rendent très difficile le contournement des arbres abattus, par l'intérieur des terres. Et enfin, le givre rend horriblement glissant les troncs et les branches des arbres couchés. Tant bien que mal, après 2 kilomètres de progression, nous voilà à la hauteur du moulin montré par le coude bien marqué du chemin vers le Nord. Mais celui-ci disparaît, après 50 m, sous un amoncellement d'arbres fauchés par le vent. Un peu plus à l'aise que mes compagnons pour avancer dans ce fouillis (mes filles diraient que c'est alors mon hérédité de paysan forestier de Haute-Corrèze qui se manifeste), j'emmène mon équipe à la boussole vers le Nord. Une foule de gens bat les fourrés près du moulin, cela veut dire qu'on ne trouve pas la balise. Nous participons à la recherche pendant un petit quart d'heure, mais comme il est évident que l'objet n'est pas à l'endroit indiqué, nous décidons de repartir. En fait, seul Jean-Luc a su, trouver la balise, au début du chemin que nous avons suivi joignant l'ancien lit de la Voise au bief. Hélas, nous ne l'avons pas vu appuyée sur une souche, plus occupés à éviter de tomber ou de se faire écraser par une branche instable, qu'à explorer les lieux. Rébus L'indication de la suite du chemin à prendre, après le moulin, nous a semblé un rébus dont le décryptage qui m'a laissé insatisfait nous a bien coûté 5 minutes. Sur le guide il est écrit " Traverser la Voise et prendre le chemin qui la longe au Sud ". Nous sommes sur une route coupant la vallée de la Voise perpendiculairement à celle-ci, entre, au Nord, le bief (la Voise), au Sud, la "Rivière Morte ". Cette route franchit évidemment chacun des cours d'eau par un pont. La carte indique très clairement qu'un large chemin suit la Voise sur sa rive Nord et qu'un chemin assez mal défini suit la "Rivière Morte " sur la rive Sud. A 500 m plus au Sud, une petite route suit également l'ancien court de la Voise. Le texte peut être interprété de deux façons : · se diriger vers le Sud, franchir l'ancien cours de la Voise, et emprunter vers notre gauche le chemin qui longe la rivière au Sud de celle-ci, · se diriger vers le Nord, franchir le nouveau cours de la Voise, et emprunter vers notre droite le chemin qui longe la rivière au Nord de celle-ci. Dans les deux interprétations, un élément de la description de la feuille de route ne correspond pas avec la situation du terrain. Pour la première interprétation, la rivière était dénommée jusque là "Rivière Morte " par le guide et non par son ancien nom " Voise ". Pour la seconde interprétation, le chemin qui longe la rivière est au Nord de celle-ci et non au Sud. Nous allons voir le départ du chemin au Sud de la "Rivière Morte ", il est vraiment mauvais. De loin nous voyons la plupart des équipes opter pour la seconde solution. Cela fait deux arguments en sa faveur qui nous décident à l'adopter, mais aucun n'est décisif. Ce n'est pas satisfaisant dans une course d'orientation. Apparemment, c'est aussi le choix des organisateurs puisque 2 kilomètres plus loin une de leur voiture sécurisait la traversée du débouché du chemin sur une petite route. Que sont devenues les équipes qui ont fait l'autre choix ? Se sont-elles perdues dans le marécage ? Opération survie La remontée du cours de la Voise se poursuit pesamment sur la boue de la berge, fréquemment ralentie par l'escalade ou le contournement des arbres couchés. Les pieds se tordent dans les trous pleins d'eau fangeuse, se cognent sur les racines, se prennent dans de vielles ronces, c'est la joie. Je retiens les images d'une équipe qui ayant fait le choix de la mauvaise berge, retourne en arrière après quelques tentatives de traversée dans l'eau et celle d'une autre équipe qui nous croise à la recherche d'un mystérieux barrage. Quel barrage ? la rivière en crue recouvre tout. Enfin, après une heure de progression lente et épuisante, la berge vient buter sur un haut talus dans lequel une large ouverture bétonnée se découpe d'où sort notre rivière : le fameux passage sous l'autoroute. L'incompréhension qui nous saisit est partagée par les gens que nous venons de rejoindre : les traceurs de cette course de folie veulent-ils réellement que nous descendions dans l'eau profonde et glacée? Souhaitent-ils que nous risquions la pneumonie ou je ne sais quel malaise ? Courir dans l'eau ou dans la boue en plein hiver on connaît mais pas dans autant d'eau. Les gens s'agglutinent sur ce bord de rivière et semblent refuser l'évidence : c'est le passage et il est obligatoire. Deux équipes renoncent et escaladent le talus pour traverser l'autoroute. Robert montre le bon exemple en avançant d'un grand pas dans l'eau noire. Je l'accompagne en traversant la rivière pour aller soutenir Monique passée de l'autre côté de l'eau pendant nos hésitations et se refusant à penser qu'il n'y avait pas de passage moins profond. Le premier choc du froid me semble insupportable, puis j'ai l'étrange sensation d'une accoutumance qui évanouie, peu à peu, remplacée par un engourdissement glacial. Persuadé qu'un plongeon pouvait être très dangereux, j'agrippe Monique avec le bras gauche et m'appuie sur un bâton de la main droite. Du coin de l'œil, j'aperçois Guy qui poinçonne le carton pointage à la balise suspendu au milieu du passage et j'ai le temps de le plaindre de devoir s'occuper d'autre chose que de sa sécurité. Nous voilà tous les 5 de l'autre côté. Il faut encore attendre son tour pour monter sur la berge très haute et boueuse par la seule marche visible. Une main se tend et on me tire hors de l'eau juste avant que mes jambes se bloquent. Pour tout arranger, nous nous traversons un champ blanc de gelée face à un vent d'Est frigorifiant qui comble du sadisme nous ramène à la rivière afin de traverser la N 10, comme l'autoroute, en suivant son lit sous un pont. Ce nouveau passage est plus court que le premier et l'eau moins profonde ne me monte qu'à mi cuisse, mais en contre partie, il y a un fort courant qui fait grimper l'eau sur les jambes quand on avance et le fond est encombré de gros cailloux qui obligent à tâter le terrain du pied à chaque pas. A la sortie de cet enfer glacé, Guy trébuche et plonge le bras et une partie du buste dans l'eau. Le saisissement aura été tel qu'il nous révélera à l'arrivée, qu'il a perdu la notion du temps jusqu'au milieu de la matinée au point de confondre le lever du jour avec le coucher du soleil. L'Erreur Le PC1 ne nous voit passer qu'avec seulement 15 minutes d'avance sur la barrière horaire. C'est étonnant, après avoir couru tout le temps en n'ayant été retardé que par quelques brèves hésitations. Nous sommes pointés en douzième place. On nous signale que le GAG qui est en deuxième position nous précède d'une heure. En fait, ils sont partis dès la remise du guide de route et n'ont fait aucune erreur. Pleins d'ambition, nous partons sur les talons de deux équipes que nous venons de rattraper pour constater 15 minutes plus tard, à Levainville, qu'elles nous ont emmené hors de la route du guide. Saisis d'un aveuglement collectif nous entreprenons alors de revenir sur cette route en repartant vers l'Ouest, à l'opposé de la direction générale à suivre, pour repasser par ce fameux pont des " Angles " que nous n'avions pas vu. Le pire est que nous sommes confortés dans cette erreur par une équipe qui marche dans la même direction. Heureusement nous renonçons à la suivre à califourchon sur un tronc d'arbre au dessus de la rivière, pour couper à travers un bois épais. Quinze minutes d'effort plus tard en vue du fameux pont, un bref échange avec une équipe que nous croisons nous ouvre enfin les yeux : la balise suivante est dans l'autre sens à 3 km vers le Sud Est et nous étions sur une bonne route à Levainville. Sous nos yeux éberlués, les gens qui viennent de nous sortir de cet aveuglement s'engagent sur le chemin défoncé d'où nous venons alors qu'il suffit de suivre la confortable route sur laquelle ils étaient. Au moins 30 minutes de perdues, on ne risque plus de revoir nos amis du GAG. L'équipe résiste La leçon est sévère, mais salutaire, nous prenons maintenant le temps d'identifier le chemin à suivre sur la distance de plusieurs balises plutôt qu'au fur et à mesure de l'avancement. Le jour se levant, l'orientation et la progression sont plus aisées. La situation est cependant grave, pour la première fois depuis que nous courrons le Raid 28, nous sommes en position de nous faire éliminer à la prochaine barrière horaire (PS4). Il faut donc forcer l'allure sur les 12 km qui nous séparent de ce point de contrôle. Les larges chemins plats en bordure de forêt permettent heureusement d'avancer à la bonne allure d'au moins 10 km/h (tout est relatif après une nuit pareille). Sur la longue route qui amène aux grands silos qui signalent notre objectif, c'est une véritable chasse de course de vélos avec prise de relais dans le vent et passage à l'abri du relayeur. Enfin, le point de contrôle, moins de 6 minutes de retard, Patrick Pilorget l'accepte sans commentaire. Soulagement dans les rangs, mais il faut récupérer de cette heure de course effrénée ; se sera dur pour Guy qui sort difficilement de son décalage temporel et pour moi. Je m'inquiète d'une sensation de fatigue musculaire frissonnante qui pourrait annoncer une attaque de grippe (c'était bien le cas). Patrick nous annonce que nous sommes 32eme et qu'il fermera bientôt la barrière horaire ; nous sommes quasiment les derniers de la course. Les Ulis Toujours revient Nous voilà à nouveau le long d'une voie ferrée, mais avec un bon chemin bien visible, et joie, une foule de gens devant nous. C'est à nouveau la formation de combat. Rageusement, l'équipe remonte et passe tout le monde. La vitesse augmente encore, Monique donne le ton. Le chemin qui descend la haute vallée de l'Orge facilite notre allure. Dans l'élan nous passons les amis du JDM. Sur la route qui mène à la maison de retraite de Saint Mesme qui abrite le point de contrôle n° 3, c'est un véritable sprint qui nous oppose à deux autres équipes. Cette fois, nous avons 45 minutes d'avance sur la barrière horaire, nous avons donc rattrapé 50 minutes en 12 km, ce qui me conduit à penser que ces barrières uniquement établies sur une vitesse moyenne devaient aussi prendre en compte la difficulté de la progression (nuit, mauvais chemins, arbres abattus, terrains inondés). Nous sommes remontés à la quinzième place, l'objectif d'être dans les 10 premières équipes ne paraît plus impossible. L'oubli Nous voilà repartis pleins de détermination dans la côte qui mène dans la forêt de Dourdan. Un plat puis la forêt et soudain Guy catastrophé annonce qu'il a oublié le carton de pointage (et ses gants) sur la table du PC 3. Rapide échange de points de vue, ma proposition est acceptée : l'équipe continue en marchant sur la piste de la maison forestière de Semont avec mon sac tandis que je cours rechercher le précieux document 2 km en arrière. Sans le sac (trop chargé), j'ai des ailes pour revenir au PC, je gagne même un bon km en coupant par la pelouse d'une propriété (heureusement, les molosses regardaient ailleurs). Sur le chemin du retour, l'inquiétude me gagne quand je constate que toutes les équipes que nous avions passées ont disparu et que je ne peux donc pas me joindre à l'une d'entre elles comme escompté. Heureusement il me reste la boussole et le cap à suivre ce qui me permet de prendre le bon chemin à un embranchement. Enfin, énorme soulagement, j'aperçois les miens qui attendent à la lisière d'une clairière. Un peu plus loin et je ne les voyais plus, on réalise alors combien la manœuvre était risquée. Ces 3 km de course au maximum de mes possibilités m'ont laissé exténué et sur le bord de l'hypoglycémie. Je ne m'en remettrai pas pour les 25 km qui restent à parcourir. r Le joli coup Nous continuons à remonter sur des équipes de plus en plus rares. La lecture de la carte devient facile. Un petit instant d'inattention nous coûte cependant une traversée au cap dans les bois ravagés par la tempête sur les bords de l'étang " Baleine ". Cette eau noire et puante fait le bonheur d'un magnifique Labrador qui s'est pris d'amitié pour notre petit groupe depuis la forêt de Dourdan. Il est un peu gênant à croiser constamment notre route. Pire encore, à chaque plongeon du chien, il faut faire l'effort de s'écarter pour ne pas être aspergé d'eau sale. La " bonne " route qui conduit à Bajolet, le prochain point de sécurité est bientôt rejointe, on y retrouve les deux équipes de Villiers sur Orge que nous avions lâchées à l'entrée de la forêt de Dourdan. Nous leur laissons notre toutou pendant la progression à nouveau très difficile dans un chemin inondé et coupé tous les 10 m d'un buisson d'arbres abattus. J'accompagne les miens tant bien que mal et garde un peu de lucidité pour comprendre le joli coup que Monique et Robert montent pour éviter d'emprunter les 3 km du GR 11 qui emmènent à Forges les Bains où passe le fameux chemin des traceurs. Cette partie du GR étant tracée en plein bois et les arbres abattus se faisant de plus en plus nombreux à mesure que nous avançons vers l'arrivée, ils choisissent d'emprunter un chemin plus à l'Est qui reste en lisière de forêt où devrait se trouver moins d'arbres couchés. Vingt minutes plus loin, en rejoignant la bonne piste pas une équipe n'est en vue. On apprendra plus tard que nos deux guides avaient fait le bon choix : ces équipes, dont nos amis du JDM, sont restées empêtrées dans les branchages du GR 11. Les galériens teigneux Après le lavoir d'Ardillières sous le toit duquel la balise était cachée (merci Monique d'avoir insisté pour qu'on fouille les lieux), un promeneur providentiel confirme que le chemin à suivre existe bien sous l'enchevêtrement de tronc d'arbres et de branchages qui couvre le flanc de la vallée. La montée dans ce bois détruit, en escaladant les troncs et en rampant sous les branches, m'est particulièrement pénible, mes jambes tremblantes se tétanisant un peu plus à chaque pas. Enfin le haut de la pente est atteint et la dernière balise " difficile " pointée. Les signaleurs annoncent que nous sommes dans les dix premiers. Voilà de quoi nous aider à traverser la longue plaine de Janvry. Je ne pense plus qu'à avancer en trottinant d'un pas lourd et glissant qui me fait trébucher tous les 10 m, mais je peux plus lever les pieds. Le chemin s'étire interminablement malgré l'aide qu'apportent les repères familiers du paysage (les toits de la ferme de Frileuse, le clocher de l'église de Gometz). Le ciel s'est soudainement dégagé pour nous offrir une belle lumière d'hiver qui fait briller de très loin la balise de la " remise " de la Brosse (c'est un bosquet). Je ne m'arrête plus, qu'on m'attende sur la route de Saint Jean de Beauregard. On me prend la main, on me tire sous le tunnel de Carrefour. Je vois, le parking plein de voitures, des regards indifférents ou étonnés devant ces spectres boueux, trébuchants et rageurs, la dernière cote qui conduit à l'esplanade de la Mairie. L'arrivée, je me mets les gants boueux sur le visage pour cacher la grimace et les larmes de douleurs. Nous joignons nos mains et crions comme nous l'avions fait de l'autre côté de l'enfer : " Un pour tous, tous pour un ". Nous sommes huitième en 15 heures à un peu plus de 2 heures des premiers talonnés par le GAG. C'est le résultat que nous souhaitions. Mais nous avons fait quelques erreurs grossières bien identifiées qui nous laissent le regret d'avoir encore manqué l'occasion de terminer sur le podium. Avis Quant à la course il est évident qu'elle marque au sens propre comme au figuré tous ceux qui la font. De notre côté nous en parlerons très longtemps. Il faut remercier de tous coeur cette organisation qui a pu préparer cette énorme épreuve et tous ces gens partout présents à se geler à nous attendre dans des endroits impossibles, voire à surveiller les balises que des malfaisants cherchent à voler, et tout cela pour nous permettre de vivre une épopée. Enfin, c'est une épopée pour ceux qui finissent car c'est bien souvent un amer cauchemar pour les autres. Je tiens cependant à souligner que nos amis organisateurs déclarent que les gens doués pour la course souhaitent que l'épreuve soit durcie pour compenser leurs faiblesses en orientation et que je ne pense vraiment pas que les coureurs songent à cela. S'ils voulaient être avantagés, ils demanderaient simplement 50 km de route en plus et non des passages héroïques. A mon avis, il faut arrêter la recherche de ce type de durcissement faute de quoi, il n'y aura plus que quelques survivants à l'arrivée et des blessés tout au long du chemin. Une part plus importante à l'orientation incluant des astuces pour creuser les écarts conduirait aussi bien à augmenter la sélection mais sans augmenter le danger.

Jean-François Boissonneau